"Mes réflexions sur les symboles de la République gabonaise (3)

26 août 20220
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Philippe César Boutimba Dietha poursuit ses réflexions sur les symboles de la République gabonaise. Ici, son deuxième texte interprétatif du Sceau de la République.

Chers compatriotes,

En 1995, notre Institut Pédagogique National (IPN) avait édité un ouvrage intitulé : « mon livret d’éducation civique au Cours Moyen, nouveaux programmes  ». En page six dudit manuel scolaire il y a le croquis du sceau de la République avec la définition suivante : « Le sceau de la République Gabonaise est une mère allaitant son enfant. La mère représente la République gabonaise qui nourrit ses enfants, les protège, les soigne, les éduque et veille en permanence à leur bonheur. L’enfant, c’est chacun de nous, membre d’une famille nombreuse : la Nation gabonaise ».

Le livre est destiné à des enfants du cycle primaire qui n’ont pas encore le même regard que les adultes. Un parent vigilant remarquera forcément plusieurs maladresses sur le comportement de la « Maternité Allaitant ».

LES DEVOIRS ÉLÉMENTAIRES D’UNE NOURRICE

Quand une femme s’apprête à donner le sein à son enfant, son premier réflexe consiste à «  installer correctement le bébé » sur sa poitrine. En général le coude soutient la nuque, le bras passe derrière le dos et la main reçoit le fessier de l’enfant, de telle sorte que tout le membre supérieur de la nourrice ressemble à un lit sur lequel vient s’allonger le nourrisson. Elle doit encore vérifier que le visage du bébé ne colle pas sa poitrine, sinon l’enfant se sentira asphyxié et repoussera fermement le téton.

Bizarrement sur le Sceau de la République Gabonaise, la « Mère Patrie » n’exécute pas l’essentiel de ces gestes. Oui, sa main droite est bien posée sur la nuque de l’enfant, mais le dos et le fessier du bébé n’ont aucune protection, ce qui expose la colonne vertébrale à des déformations.

C’est une faute très grave. Par ailleurs la « Maternité Allaitant » ne regarde jamais son enfant pendant la tétée, contrairement à la plupart des mères ; ici les yeux de cette femme sont quasiment fermés, comme si elle avait d’autres préoccupations. Ce qui nous entraîne à poser les questions suivantes :
 Pourquoi nos pères fondateurs avaient-ils dessiné une fille maladroite pour illustrer les missions régaliennes de l’État ?

 Comment expliquer que depuis soixante-deux ans, personne n’ait jamais cherché à corriger ces erreurs ?
 Quels sont les effets de cette « Maternité Allaitant » sur la gestion du Gabon ?

POURQUOI NOS PÈRES FONDATEURS AVAIENT-ILS DESSINÉ UNE FILLE MALADROITE POUR ILLUSTRER LES MISSIONS RÉGALIENNES DE L’ÉTAT ?

Dans un reportage télévisé des années 2000, le docteur Marcel Éloi Chambrier Rahandi disait que le tout premier parlement gabonais avait été composé de citadins et de villageois. Il avait précisé que le terme « villageois » ne signifiait pas « illettré » mais « fin connaisseur de nos sociétés anciennes ».

Donc la plupart des pionniers de notre parlement ont utilisé des faits culturels pour poser les fondements d’un État généreux, sans nécessairement maîtriser les rigueurs du graphisme et de la vexillologie. Toutefois le sceau de la République étant un croquis symbolique, sa typologie a forcément des conséquences spirituelles sur le fonctionnement de la Nation.

POURQUOI DEPUIS SOIXANTE-DEUX ANS, PERSONNE N’A CORRIGÉ CES ERREURS ?

Dans l’inconscient collectif des gabonais, les Pères Fondateurs de la République sont des icônes irréprochables. Aucun élu n’a jamais réclamé un audit des institutions de leur époque, de même personne n’a jamais osé contester leur vision des symboles de la République. Nous devons regarder les choses avec lucidité pour donner à notre pays la meilleure des trajectoires.

LES IMPLICATIONS DU SCEAU DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA GESTION DE L’ÉTAT GABONAIS

Depuis 1960 notre « Mère Patrie » ressemble à son logo : pauvre, triste et nue. En Lybie la compagnie TOTAL versait 88% de ses recettes au gouvernement de Khadafi, chez nous la même entreprise donnait 15% au gouvernement d’Omar. Aujourd’hui la Mère Patrie a une dette de 7 mille milliards de francs CFA, sans que les populations sachent à quoi aurait servi tout cet argent.

Ces institutions n’arrivent plus à régler leurs factures SEEG, ses administrations n’ont rien, ses policiers sont à pied, ses ministres esquivent les plateaux télé. Ses dispensaires n’ont pas de médicaments, ses centres médicaux ont un plateau technique défaillant et son assurance maladie universelle est à l’agonie.
La Mère Patrie n’a jamais embrassé la colonne vertébrale du peuple gabonais, elle ne caresse que la tête du pays, c’est-à-dire les élites qui constituent moins de 5% de la population et qui s’accaparent +90% des richesses.

Les jeunes diplômés arrivent comme des eaux de ruissellement dans un bassin versant bouché et pollué : la fonction publique est gelée, le secteur privé n’a plus de CDI, des bac+5 sont « recrutés au noir et payés en monnaie de singe  » avec la souplesse apocryphe des inspecteurs du travail. Les sociétés chinoises n’ont aucune comptabilité, il parait que chacune est protégée par un « ministre ».

La Mère Patrie n’a jamais ouvert les yeux sur la nudité des populations. Elle n’a jamais revêtu le pays de bitume, de médicaments ou de logements sociaux. Elle n’a jamais porté correctement son bébé, elle a suffisamment montré ses limites. Il est peut-être temps qu’elle confie le peuple gabonais à un autre logo, par exemple un monarque riche et puissant.

Libreville, le 26 août 2022
Philippe César Boutimba Dietha

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