"Un processus électoral qui démarre avec autant de retard dans la mise en œuvre de ses activités sur le terrain est un processus mal engagé"

24 juillet 20230
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Le Gabon organise des élections générales à un tour unique, le 26 août 2023. Notre rédaction a contacté monsieur Moubamba Moubamba, Expert international sur les questions électorales qui a bien voulu répondre à quelques unes de nos questions.

En votre qualité d’Expert international sur les questions électorales, pouvez-vous nous édifier sur la mise en œuvre d’un projet d’assistante électorale pour qu’il soit conforme aux bonnes pratiques internationalement reconnues, depuis l’expression des besoins jusqu’à la fin ?

Le 26 août 2023 pour la première fois de son histoire, le Gabon organise des élections générales à un tour unique. On devra donc élire en une fois : le Président de la République, les députés à l’Assemblée nationale, les conseillers départementaux et les conseillers municipaux. Il s’agit là rien de moins que le renouvellement de l’essentiel de sa classe politique. C’est vous dire l’importance de l’enjeu.

Concernant les projets d’assistance électorale internationale appuyés par les Nations Unies, au-delà des procédures internes inhérentes à la formalisation juridique et administrative du type d’intervention sur le terrain, tout appui à un État membre des Nations Unies est matérialisé concrètement par un document de projet qui fixe en général, les objectifs, les axes d’intervention, les cibles à atteindre, les activités programmatiques et de suivi évaluation, la budgétisation, les ressources à mobiliser, les risques, les résultats quantitatifs et qualitatifs.

Mais chacun a bien compris que pour ces élections, le Gabon n’a pas souhaité faire appel aux Nations Unies, ni aux autres organisations multilatérales sous régionale, régionales et internationales.

Nous devons préciser aussi qu’un processus électoral est une entreprise complexe, chronophage et budgétivore qui implique de nombreuses phases, des étapes avec souvent des activités interdépendantes. Sa mise en œuvre doit s’inscrire dans un temps long, ce qui nécessite que les acteurs intéressés par le processus électoral s’y prennent tôt, entre dix-huit (18) et vingt-quatre (24) mois avant la date prévue pour les échéances électorales.

Selon les bonnes pratiques internationalement reconnues, les questions liées à la Constitution, au cadre légal, institutionnel, organisationnel, fonctionnel, au système électoral et au code de bonne conduite sont généralement traitées et épuisées six (6) mois au plus tard avant l’année électorale. C’est pourquoi, toutes les parties prenantes au processus électoral doivent être conviées à contribuer activement dans un cadre concerté, dédié à la matérialisation du cadre juridique des élections avant le démarrage à proprement parler des activités programmatiques du cycle électoral.

En l’absence d’une démarche cohérente pour la programmation de l’assistance électorale, des experts électoraux ont conçu en 2006, une approche méthodologique « le cycle électoral ». Elle intègre en son sein dans l’espace et le temps toutes les étapes conçues comme des outils de planification, de programmation et d’opérations. Le cycle électoral se décline en trois phases (Pré-électorale, des opérations électorales et Post-électorale), à chacune des phases est arrimées des étapes qui se déclinent ainsi qu’il suit :

 Phase pré-électorale, cinq (5) étapes ;
 Phase des opérations électorales (2) étapes ;
 Phase post-électorale une (1) étapes.

On imagine que si ces pratiques doivent s’appliquer au cas du Gabon, vous avez votre petite idée. Pouvez-vous nous indiquer comment selon vous le calendrier des ac1vités pour l’organisa1on des élections générales de 2023 devrait se dérouler au vu des textes gabonais ?

Conformément à l’annonce du dimanche 25 juin 2023, du Président du Centre Gabonais des Élections (CGE), les Gabonais sont appelés aux urnes le 26 août prochain. Cette communication tardive du CGE sur les échéances met en évidence, « le temps imparti » comme principale difficulté, c’est comme « si l’on débute un match de football à partir des prolongations, parce que le temps règlementaire est écoulé ». Pour réaliser et mettre en œuvre toutes les étapes du cycle électoral selon l’état de l’art, le temps n’est pas extensible, il y a des délais incompressibles, constitutionnels et légaux à respecter. Un processus électoral qui démarre avec autant de retard dans la mise en œuvre de ses activités sur le terrain est un processus mal engagé.

À ce jour, le CGE n’a toujours pas publié un calendrier électoral exhaustif qui permet à toute personne intéressée par le processus de suivre le déroulement des activités de planification et de préparation, de façon à respecter les dates limites réglementaires et administratives.
Nous avons également noté un déficit dans l’organisation, le suivi et l’évaluation du déroulement des activités sur le terrain. À la suite de toutes ces carences, nous avons élaboré et publié un calendrier indicatif à partir de la Constitution de la République Gabonaise, du code électoral, suivant l’approche cycle électoral.

Ce livrable est disponible et mis à la disposition de tous (gouvernement, CGE, partis politiques, société civile, candidats, citoyens, partenaires et amis du Gabon) sans exclusive. Il couvre l’ensemble des activités de l’organisation de la gestion électorale jusqu’à la proclamation officielle, de la publication des résultats et de la production des rapports d’activité du CGE aux autorités comme le prévoit le code électoral.

Le 26 août 2023, le Gabon organise pour la première fois des élections générales à un tour, or, à ce jour (22 juillet 2023, le corps électoral n’est toujours pas constitué, les électeurs sont déjà convoqués, la liste des candidats retenus n’est pas officiellement publiée, quel est votre sen1ment sur le niveau de préparation de ce processus électoral ?

Le corps électoral est constitué à partir de l’ensemble des listes électorales des communes, arrondissements, districts, départements, provinces ainsi que celles issues des missions diplomatiques ou consulaires. Ces listes sont produites à partir du fichier électoral biométrique.

Au cœur du processus d’inscription des électeurs, le fichier électoral est l’élément central du cycle électoral, les débats qu’il cristallise font ressortir alors, la multiplicité, la complexité, l’interdépendance et la conflictualité de ces différents enjeux. Conformément aux dispositions de « l’article 47 » du code électoral, le Ministère de l’Intérieur a jusqu’au 27 juillet 2023 pour le finaliser. Les données du fichier électoral doivent être gelées, c’est-à-dire qu’aucune modification après la date citée ci-dessus ne sera plus possible jusqu’à la prochaine révision annuelle, sauf exception en cas d’audit du fichier électoral.

À partir de cette date, il pourra produire les listes électorales par circonscription électorale et par bureaux de vote. Les activités du processus électoral sont interdépendantes et l’absence du fichier électoral finalisé suscite des interrogations. Des incidences qui ont un impact direct au niveau de l’enchaînement des séquences des activités du processus électoral.

Nous avons par exemple noté que les citoyens ont été convoqués par décret pris en conseil des ministres, que les candidats potentiels aux élections étaient invités à déposer leurs dossiers de candidature alors que le corps électoral n’est toujours pas constitué.

Dans les deux cas, la clôture des opérations d’apurement et de mise à jour du fichier électoral pour la production des listes électorales définitives et des documents électoraux doit être effective et conforme à «  l’article 47 », avant de convoquer les électeurs et de déposer les candidatures.

En vertu de « l’article 30 » du code électoral qui dispose que « Sont éligibles tous les électeurs sous réserve des dispositions constitutionnelles et des conditions spécialement prévues par la loi pour chaque catégorie d’élection ». Ce qui peut constituer une entorse au code électoral.

Donc, sauf dispositions prises par ailleurs, si l’on s’en tient à l’application de « l’article 30 » du code électoral sus cité, tous les dossiers de candidature sont incomplets dans la mesure où le fichier électoral de 2023 n’est toujours pas disponible et les candidats potentiels n’ont pas fourni une attestation ou preuve de leur inscription effective sur les listes électorales. Cette omission, absence ou manquement relève de la responsabilité directe du CGE.

Le 06 juillet 2023, le Ministre de l’Intérieur a annoncé les résultats provisoires des opérations de révision des listes électorales de 2023. À cet effet, il a annoncé que « 1 255 662 » personnes se sont fait inscrire. Rappelons qu’en 2016, le fichier électoral comptait « 627 805 » citoyens inscrits. On relève également que le fichier électoral en 2023, est passé du simple au double en nombre d’inscrits.

Sauf erreur, la dernière révision du fichier électoral est intervenue en 2018, donc, il y cinq (5). De 2018 à ce jour, l’administration a enregistré plusieurs faits de l’état civil (décès, mariages, naturalisations, etc.) qui se sont produits sans que le fichier électoral ne soit actualisé, ce qui est contraire à la loi, dans la mesure où le fichier électoral est au regard de «  l’article 8 nouveau : L’Administration est dépositaire du fichier électoral » elle est responsable « de la mise à jour permanente du fichier électoral  » et de « l’article 37 nouveau : La liste électorale est permanente ».

À ce jour, l’administration gabonaise, ne dispose toujours pas d’un système d’état civil fiable, modernisé et sécurisé, ce qui pose un autre problème : la délivrance frauduleuse d’actes de naissance et de tout autre document administratif aux personnes inéligibles (mineurs, étrangers) à l’approche des échéances électorales.

Alors, dans le doute raisonnable sur l’intégrité du fichier électoral actuel et pour faire l’économie de tensions, crispations et frustrations, les partis politiques, la société civile et tous les Gabonais intéressés peuvent saisir les autorités dépositaires du fichier électoral pour être éclairés les résultats définitifs des opérations révision des listes électorales, ce qui va rassurer toutes les parties prenantes.

Pour prévenir toute contestation, le Ministre de l’Intérieur garant de l’intégrité de la base de données qui héberge le fichier électoral biométrique a l’impérieuse mission d’apporter un peu plus d’explications.

C’est pourquoi, nous l’encourageons à édifier toutes les parties prenantes au processus électoral, en présentant et en publiant par les canaux habituels, à partir du 27 juillet 2023, les résultats définitifs agrégés par province, département, district, commune, arrondissement dans les représentations diplomatiques ou consulaires des opérations de révision des listes électorales 2023 ainsi que le répertoire national des bureaux de vote avec le nombre d’inscrits par bureau de vote.

Aussi, comme on ne gère pas le fichier électoral comme on tient des comptes d’apothicaires et dans le seul souci d’assurer la transparence, la crédibilité et pour éviter tout soupçon de fraude, nous sollicitons le Ministre de l’Intérieur pour qu’il lance en mesure d’urgence, un appel à candidatures pour un audit international indépendant du fichier électoral biométrique.

L’objectif de cette mission serait d’évaluer le fichier électoral biométrique après les opérations de révision du fichier 2023, de recenser les forces et les faiblesses, de formuler des recommandations, des mesures correctives immédiates et éventuellement, d’améliorer la qualité et l’intégrité du fichier électoral à moyen et à long terme. Cette mission express pourrait se tenir à partir du 30 juillet 2023, pour une durée de cinq (5) jours.

À cet égard, des organisations internationales comme l’Union Africaine ou l’Organisation Internationale de la Francophonie pourraient être commises pour organiser et effectuer une mission à Libreville.

Souvent l’attente des résultats après les scrutins cristallise les passions et est source de tensions entre les différents acteurs politiques, quelle solution préconiseriez-vous au CGE pour que l’attente de l’annonce des résultats ne soit pas trop longue et que le peuple sache rapidement qui a gagné ?

Les enjeux politiques des résultats d’une élection peuvent être la source de cristallisation de tension et passion entre les différents acteurs du processus électoral. Dans le monde des élections, « on parle régulièrement de fraude parce que les politiciens fraudent, s’ils arrêtent de frauder, la fraude disparaîtra d’elle-même ».

En général, ces résultats électoraux révèlent souvent plusieurs problèmes d’intégrité du système électoral. Le CGE doit éviter les déconvenues de 2016 ; une attente trop longue des résultats et une gestion opaque du processus de recensement, de traitement, de consolidation, d’annonce et de publication des résultats pourraient avoir des conséquences dramatiques.

En 2023, le CGE doit s’atteler à renforcer le processus de centralisation, de traitement et de publication des résultats de vote, ce qui permettra d’améliorer davantage la transparence du processus de consolidation des résultats.

Après les résultats compilés et proclamés par bureau de vote, le CGE doit organiser le ramassage et la transmission directement par le système sécurisé de remontée de données dans les délais mis en place à l’aide des nouvelles technologies de l’information et de communication.

Les données sont ramassées de chaque bureau de vote vers la commission électorale locale ou consulaire du ressort, puis transmis à la commission électorale provinciale et de la commission électorale provinciale vers le siège du CGE à Libreville en vue de leur annonce par le Président du Centre Gabonais.

Les résultats du vote pourront également être diffusés sur les plateformes numériques du CGE : site web, téléphone mobile, Twitter, Facebook, pour contrer la propagation de faux résultats et de fausses informations.

Quels conseils pourriez-vous adresser à l’endroit des acteurs (gouvernement, CGE, classe poli1que, société civile) du processus électoral, des partenaires et amis du Gabon pour que ce cycle électoral soit une réussite avec la prépara1on des scrutins au lendemain apaisé ?

 Au Gouvernement : garder la neutralité, mobiliser et libérer dans l’urgence toutes les ressources (financières, matériels, humaines et techniques) nécessaires ;

 Au CGE élaborer :
 Plan d’action ;
 Plaidoyers pour la mobilisation des ressources ; § Budget des opérations ;
 Plan des achats ;
 Plan de recrutement ;
 Plan de formation, sensibilisation, d’éducation civique et
mise en place des campagnes d’éducation civique des
citoyens ;
 De soutien logistique ;
 Mécanismes de suivi évaluation ;
 Réfléchir sur les mesures à prendre pour gérer les files
d’attente à l’extérieur du Bureau de Vote (BV) pour éviter les abandons et baisser le taux de participation ;
 Réfléchir à la stratégie de circulation des citoyens à l’intérieur du BV au moment du vote. Évaluer le temps moyen de passage que devra mettre chaque électeur pour absorber le flux des personnes à l’extérieur et éviter l’engorgement dans le BV ;
 Plan de sécurisation des sites en collaboration avec les Forces de Défense et de Sécurité.
 À la Classe politique : suivre et surveiller le déroulement des activités sur le terrain, mobiliser, sensibiliser, former leurs membres et sympathisants tout au long des étapes du processus électoral jusqu’à la proclamation des résultats définitifs ;
 À la Société civile : mobiliser, sensibiliser, les citoyens, notamment les groupes vulnérables, les femmes, les jeunes et les minorités.

Propos recueillis par
Martial TM

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