Stop à l’apologie de la guerre pour un journalisme de paix au Gabon

3 mai 20190
Partager

La communauté internationale célèbre, ce 03 mai 2019, la Journée internationale de la liberté de la presse sous le thème Médias pour la démocratie : le journalisme et les élections en période de désinformation.

A travers ce thème, les différents acteurs, gouvernements, chercheurs, sociétés civiles, citoyens et journalistes eux-mêmes sont invités à réfléchir sur les défis auxquels ils sont confrontés lors des élections, ainsi que le potentiel des journalistes pour soutenir les processus de paix et de réconciliation.

C’est dans ce cadre que s’inscrit cette analyse qui participe de cette dynamique au niveau national. Il s’agit pour nous de jeter un regard critique sur le journal FRATERNITE, dans sa livraison numéro 183, du jeudi 13 mars 2019, notamment la UNE du numéro en question.

En effet, sous le titre « C’EST BIENTÔT LA GUERRE !  », le journal affirme que le Gabon est en phase de connaitre un conflit politico clanique qui opposera ‘’les assoiffés de pouvoir’’. Pour ce faire, l’hebdomadaire met à contribution plusieurs éléments pour véhiculer cette idée qui nous parait aux antipodes de la réglementation en vigueur notamment du code de la communication en République gabonaise, dans son chapitre II des principes et des règles.

Violation du code de la communication

L’article 3 dudit texte stipule que « les activités de communication audiovisuelle, écrite, numérique et cinématographique sont libres en République gabonaise, sous réserve du respect de l’ordre public. Elles contribuent au développement de la personne humaine, au rayonnement de l’image du pays, à la cohésion nationale ».

Or, l’article de FRATERNITE ne contribue ni au développement de la personne humaine, ni au rayonnement de l’image de notre pays, encore moins à la cohésion nationale. Ne constitue t-il pas de ce fait une violation du code de la communication ?
Sur le plan formel du papier, on peut relever l’usage de la couleur rouge qui renvoie au sang, consécutif à la violence engendrée par la fameuse guerre dont le journal fait allusion. Le choix de la photo présentant des soldats cagoulés, armés d’armes à feu et visiblement en situation de guerre n’est pas aussi anodin. La forme de la phrase (phrase exclamative) concourt également à l’expression de l’idée véhiculée.

Au niveau du contenu, plusieurs indices relatifs au conflit armé sont visibles. On note par exemple le champ lexical de la guerre (catastrophisme ligne 1, horreur ligne 11, mercenaires, escalade, catastrophe…).

Aussi, les adverbes de temps pour faire référence à cette ‘’guerre’’ ne laisse aucun doute auprès du lecteur moins averti : (bientôt, incessamment, sous peu, immédiat…). L’usage de l’expression «  la hache de guerre est déterrée » (ligne 11, 2ème paragraphe) amplifie l’idée selon laquelle il aurait effectivement un affrontement armé dans notre pays.

Pour insister sur le caractère réel de cette ‘’guerre’’, FRATERNITE souligne que « cela est loin d’être du sensationnalisme ». D’ailleurs, l’usage du présent de l’indicatif (temps de la certitude), n’est pas choisi au hasard dans la phrase « Certains bien informés attestent que des mercenaires sont déjà en place  ».

Du point de vue professionnel, si l’auteur de cet article a fait le choix du présent de l’indicatif, il devrait avoir la certitude des faits avancés. Or, en lisant le contenu, il s’avère que le journaliste s’appuie sur des rumeurs, des spéculations. Que des affirmations sans preuves, sans démonstrations.

D’ailleurs, L’usage récurent du pronom indéfini ‘’ON’’ dans les phrases « on dit les forces de sécurité divisées  » ; « on affirme que … », « on nous annone… », « On nous signale… », « On dit… » Illustre clairement cette imprécision.

Au regard de ce qui précède, nous pouvons légitimement nous demander pourquoi la Haute Autorité de la Communication (HAC) est restée silencieuse face à ce dérapage flagrant ?

Non respect de la charte des droits et devoirs du journaliste

Avec un peu d’attention, on s’aperçoit très vite que l’auteur de l’article commente, en réalité, des faits qui se nourrissent du « on n’a dit », du ‘’Kongosa’’ et manque, de ce fait, de rigueur professionnelle car la charte des droits et devoirs du journaliste recommande aux professionnels de l’information de « ne pas exprimer ses commentaires ou ses analyses comme des faits vérifiés ».

Selon le Code de la communication, l’article 41, relatif à l’étique et la déontologie, stipule que « l’obligation de relater ou transmettre les faits dans leur réalité s’impose au journaliste  ». L’article 44 parait plus explicite : « tout journaliste est personnellement responsables de ses écrits et des informations qu’il diffuse. Il doit s’assurer que l’information qu’il diffuse est juste et exacte et éviter d’exprimer des commentaires et des conjectures sur des faits non vérifiés ». Mieux encore, la même disposition insiste sur le fait que l’insinuation malveillante est spécifiquement interdite au journaliste.

Ne sommes nous pas en face d’une insinuation malveillante lorsqu’on annonce une guerre sans fondement réel ?

En outre, la charte des droits et devoirs des journalistes du Gabon recommande également aux professionnels de l’information de s’attacher aux principes d’unité nationale en veillant notamment à ne pas monter un groupe contre un autre. L’annonce d’une guerre éminente dans le pays concourt-elle à cette unité nationale ?

Nécessité d’agir

Si certains consommateurs de médias ont des aptitudes pour détecter le faux du vrai, tel n’est pas le cas pour tous les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. L’instance de régulation est invitée à redoubler de vigilance afin de consolider la paix qui est de plus en plus menacée dans notre pays.

Notre démarche ne s’inscrit pas dans une incitation à la censure systématique ou à la critique stérile, mais plutôt à la remise en question, à l’autocritique dans une démarche pédagogique afin d’améliorer le contenu médiatique national.

Cela nous parait indispensable car, si les médias peuvent attiser et alimenter les conflits, provoquer des guerres, ils peuvent aussi constituer des partenaires privilégiés pour promouvoir la paix, construire des sociétés pacifiques, justes et inclusives, conformément à l’Objectif de Développement Durable n°16. Tel est le sens de notre démarche.

Par Jerry BIBANG, Journaliste indépendant, Coordonnateur National du Réseau Panafricain des Jeunes pour la Culture de la Paix (PAYNCoP Gabon)

0 Commentaire(s)

Poster un commentaire