Paul-Marie Gondjout, ministre gabonais de la Justice : « Il faut que notre système politique soit plus juste »

2 octobre 20230
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Le ministre gabonais de la Justice s’exprime pour la première fois depuis sa nomination au sein du gouvernement de transition le 9 septembre. Une équipe mise en place suite au coup d’État il y a un mois qui a fait chuter le président Ali Bongo, après des élections très controversées. Paul-Marie Gondjout est le président du parti UNI, dans l’opposition sous l’ancien régime. Il prend la parole ce matin alors que l’ancienne première dame Sylvia Bongo et l’ex-ministre de l’Intérieur Lambert Noël Matha ont été inculpés vendredi. Le ministre répond aux questions de Sébastien Nemeth.

RFI : Monsieur le ministre, Sylvia Bongo, Lambert Noël Matha, une dizaine d’anciens hauts responsables, sont désormais poursuivis par la justice. Certains sont emprisonnés. Faut-il s’attendre à d’autres interpellations ?

Paul-Marie Gondjout : Il y a une opération « Dignité » qui a été mise en place. Il y a eu des flagrants délits qui vont emmener à approfondir les enquêtes. Le procureur de la République nous dira ce qu’il en est, d’arrestations ou non des personnes qui auraient commis des forfaits.

Beaucoup de personnes interpellées font partie de l’entourage de Sylvia Bongo. Qu’en est-il d’Ali Bongo ?

Le président de la République sortant a été élargi par le Comité de transition et de la restauration des institutions. Pour l’instant, aucune poursuite n’est engagée contre lui. Si dans le cours des choses, il y a des éléments qui permettent de le faire, à ce moment-là on avisera, mais pour l’instant je pense que rien n’a été engagé contre lui.

Certains Gabonais s’interrogent néanmoins. Est-ce qu’on se dirige vers une possible impunité pour l’ancien président Bongo ?

Nous n’allons pas focaliser sur une personne mais sur un système qui a mis le pays à sec. Donc il ne faut pas orienter les choses vers une personne alors qu’il y en a d’autres. Il y a des faits notoires qui ont été mis à jour. De l’argent qui a été retrouvé dans des maisons, de manière indécente. Il y a la task force pour vérifier un certain nombre de choses sur la dette de l’État et des méfaits qui auraient pu être commis, avec des ramifications au Gabon et à l’extérieur. Il y aura peut-être évidemment des commissions qui vont être mises en place pour aller rechercher partout où c’est nécessaire tout ce qui aura été fait.

Est-ce que vous souhaitez un assainissement total du système et qu’on récupère tout ce qui aurait pu être détourné ?

Le Gabon a été spolié. Les finances de l’État sont à mal. Le fait qu’il y ait des personnes qui ont certainement caché de l’argent du Gabon à l’extérieur du pays, il va falloir retrouver cet argent. Cette opération « Dignité » nous fait découvrir nombre de choses incroyables. C’est un système qui a mis le pays en coupe réglée. C’était un peu comme une épicerie où ils se servaient à volonté. Maintenant le gérant de l’épicerie demande effectivement que des comptes soient faits.

Qu’est-ce qui va être fait de toutes ces saisies ?

Le président de la transition a demandé que ces biens soient retournés à celui qui normalement doit être le propriétaire, c’est à dire l’État. Ce sont les Gabonais qui doivent effectivement pouvoir profiter de ces biens parce que ce sont les leurs. L’opération « Dignité », elle durera le temps nécessaire, il n’y a pas de limite de temps. Vous savez ce qui a été fait aujourd’hui au moment où nous parlons peut avoir des ramifications 10 ans avant ou 15 ans avant. Nous allons remonter jusque là-bas.

Certains avocats, notamment ceux de l’ancienne première dame Sylvia Bongo, accusent le pouvoir de séquestration arbitraire, voire parfois de prise d’otage. Que répondez-vous aujourd’hui ?

Je pense que c’est tout à fait exagéré. Le 30 août, il y a eu une opération pour stopper tout le processus électoral engagé qui était totalement biaisé, toxique et dangereux pour le Gabon. À l’issue de cela, il y a eu des arrestations, mais il y a surtout eu la mise en sécurité du chef de l’État sortant et de sa famille. Il n’y a pas eu de séquestration arbitraire. Il n’y a pas eu de prise d’otage. Il y a simplement eu la mise en sécurité de la première dame sortante, pour éviter qu’il n’y ait de graves dommages à sa personne. Notre pays reste lié par les instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme. Je tiens à cela.

Savez-vous où se trouve Sylvia Bongo aujourd’hui ? Ses avocats s’inquiètent. Ils ne le savent pas.

Ha si, ils doivent le savoir ! À partir du moment où elle est passée en instruction, les avocats doivent le savoir. S’ils ne le savent pas c’est qu’ils sont de mauvaise foi.

Vous prenez votre poste au moment où les magistrats connaissent une grève d’une durée exceptionnelle, depuis le mois de décembre. Comment sortir de l’impasse aujourd’hui ?

Les magistrats ont levé leur mouvement de grève vendredi. Nous avons pu effectivement régler pratiquement 80 à 85% des problèmes qui sont les leurs. Le texte sur le statut particulier des magistrats va être, je dirai, promulgué. Sur leurs situations administratives et pécuniaires, ça aussi c’est en voie de règlement. Pour ce qui concerne les avocats, effectivement, la situation était un peu plus complexe puisqu’elle ne touche pas au fonctionnement du ministère de la Justice ou d’un lien qui existerait entre le ministère de la Justice et les avocats. Ils n’ont pas de bâtonnier. Ils n’ont pas de conseil de l’ordre à l’issue de l’annulation de l’élection de cela par le Conseil d’État. Ils ont souhaité que le ministre de la Justice nomme un bâtonnier intérimaire. Ce n’est pas mon rôle. Je pense qu’en ayant reçu les anciens bâtonniers à mon cabinet de travail, je pense qu’ils ont compris en sortant de là, qu’il fallait effectivement que eux-mêmes puissent prendre leurs responsabilités en mettant en place tout de suite une Assemblée générale qui va se charger d’élire un bâtonnier et un conseil de l’ordre. Il en va de la bonne administration de la justice et des citoyens et même des entreprises qui ont besoin que les choses se passent correctement à ce niveau-là. La rentrée judiciaire c’est ce lundi [2 octobre, NDLR], nous allons pouvoir effectivement rentrer et se mettre au travail.

L’une des revendications des magistrats c’est que le chef de l’État ne soit plus président du Conseil de la magistrature pour que la justice soit plus indépendante. Est-ce que vous seriez d’accord pour une réforme là-dessus ?

Nous sommes en train de travailler avec une commission que je vais mettre en place dans les jours à venir, qui va travailler sur la réforme du système judiciaire à tous les niveaux, sur les plans pénal, civil, commercial. Pour que ces propositions de réformes soient présentées au cours des discussions nationales qui vont avoir lieu dans les mois à venir. La question de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature se posera certainement. Mais mon avis sur la question, c’est que le lien qu’il y a entre la magistrature et l’exécutif soit le moins directif possible. Il faut laisser à ce corps le soin de décider puisqu’il juge au nom du peuple gabonais. Au-delà même de cette question, il va falloir aussi que nous revoyions un certain nombre de comportements qui n’ont pas été dignes. En arrivant ici je découvre un certain nombre de choses qui sont incroyables. Des comportements peu recommandables qui méritent des conseils de discipline ou du moins des sanctions. Il y a des faits de corruption qui sont avérés. Des liens avec la politique qui ne sont pas acceptables. Nous allons faire le travail mais tout en respectant effectivement les droits des uns et des autres. Parce qu’il n’y aura aucune chasse aux sorcières.

Est-ce qu’il y a d’autres réformes qui vous semblent essentielles, que vous souhaiteriez porter, pour garantir l’indépendance de la justice soit garantie ?

J’ai mis en place une commission pour réformer le système judiciaire. Ces réformes du système judiciaire doivent appeler à plus d’indépendance, mais surtout à plus de respect du droit des citoyens. Parce que le principe c’est la liberté. L’exception, c’est la privation de liberté. Nos prisons sont engorgées. Actuellement, nous avons plus de 5 000 prisonniers. Alors que la capacité est bien moindre que ce nombre. Les deux-tiers des personnes qui sont dans les prisons sont plutôt des prévenus, donc des personnes en attente de jugement. Nous devons faire baisser ce nombre. Plus de 1 700 condamnés et un peu plus de 3 000 prévenus, ce n’est pas normal.

La transition doit refonder des textes très importants. Notamment la constitution. Selon vous, quelle est l’ampleur de la réforme nécessaire pour le corpus juridique gabonais ?

Ce qui me semble le plus important aujourd’hui, c’est de savoir quel système politique nous voulons avoir pour notre pays. Nous avons fonctionné depuis 1960 sous un système présidentiel. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que ce système a fait son temps. Il faut une dose de système parlementaire plus importante, et il faut un système de représentation qui soit plus large et qui garantisse à tous, aux minorités, aux différentes sensibilités, leur accès aux charges soit de l’État soit des collectivités. Le Gabon en a bien besoin aujourd’hui. Parce que vivre avec un président monarque qui décide de tout et qui fait tout, il faut revoir cela, pour que notre système politique soit plus juste.

Les militaires prônent l’unité mais on voit quand même un retour d’anciens responsables notamment du temps d’Omar Bongo et qui étaient tombés en disgrâce sous Ali Bongo. Certains craignent qu’ils ne fassent dérailler la transition et que l’ancien régime empêche toute renouveau. Qu’en pensez-vous ?

Quand vous avez grandi au village, imprégné de nos traditions locales, vous devez savoir que les « vieux » comme on dit chez nous sont les yeux du passé, ce sont eux qui vous ouvrent les yeux de l’avenir. Si vous ne tenez pas compte des avis des anciens, je ne vois pas comment votre avenir peut être radieux. Et ce que fait actuellement le chef de l’État, c’est effectivement de parler avec tout le monde. Lorsque vous voyez les nominations qui sont faites, ça intègre le Gabon de manière générale. Il ne faut pas que nous ayons un Gabon des uns contre les autres.

La nouvelle cour constitutionnelle ne compte aucun spécialiste de droit constitutionnel, alors que c’est justement l’expertise de cette cour. Ils sont pour les deux-tiers issus du droit privé, donc certains s’interrogent sur la légitimité, la compétence des nouveaux arrivants. Qu’en pensez-vous ?

Non, je pense que lorsque vous regardez la composition des juges, mais surtout des assistants autour d’eux, ce sont pour la plupart des publicistes, des spécialistes de droit administratif, de droit constitutionnel. Et le juge s’entoure de ces compétences-là, ce qui lui permet de pouvoir prendre les décisions de manière appropriée. Ce n’est pas un problème.

SOURCE RFI

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