"Il y a des lobbies nationaux et étrangers qui empêchent le décollage de l’agriculture locale" Hervé OMVA

22 juillet 20200
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De la crise sanitaire à une crise alimentaire, l’écart semble très mince pour que le Gabon dont les importations représentant plus de 60%, ne soit pas affecté par une détérioration de sa situation alimentaire. Pénuries, hausses des prix des biens alimentaires cumulées à une baisse des revenus risquent d’attiser les foyers de contestation. Dans cette interview accordée le 18 juillet, le coordonnateur des programmes de l’ONG Initiative développement recherches conseils (IDRC Africa), interpelle le gouvernement sur la mise en œuvre d’un plan d’urgence alimentaire.

Plusieurs institutions soutiennent que la crise du Covid-19 conduira à une crise alimentaire. Cette perspective, n’est-elle pas une menace pour le Gabon dont les importations représentant plus de 60%. Selon vous quelles solutions pour contrer cette nouvelle menace ?

Effectivement, la FAO, la BAD et d’autres institutions ont interpellé nos différents dirigeants pour attirer l’attention sur la crise alimentaire qui arrive. Le représentant de la FAO parlait de près de 42 millions de personnes qui seront impactées par la crise alimentaire en Afrique centrale. Dans le cadre du Gabon, un pays qui importe à plus de 60% de son alimentation, il est évident que cette crise ait un impact sur nos habitudes alimentaires quotidiennes, qui se traduit par la rareté des produits et la cherté des produits.

L’Etat à chaque fois en terme de stratégie, pour pallier ce type de difficultés fait toujours des exonérations aux importateurs, malgré ces exonérations, les prix ne changent pas, ils sont toujours aussi élevés. La solution serait dans ce que nous proposons à l’Etat, c’est-à-dire : investir sur des petits producteurs pour que ces derniers produisent sur le plan local, certains produits à cycle court que nous mangeons au quotidien (l’aubergine violette ; l’aubergine locale ; gombo ; piment ; concombre et l’ananas. On y trouve également ; des courgettes ; de l’oseille ; de la laitue ; du basilic ; du persil et de la pastèque). Il est temps que le gouvernement mette de l’argent dans le secteur agroalimentaire. Les cours viennent de reprendre, il faut payer des vacations, mais temps que les enseignants, les élèves n’auront rien à manger, on n’aura pas de résultats dans l’enseignement. Pour les hôpitaux, ont fait venir énormément des médicaments, mais le problème reste intact.

Qu’est-ce qui sort les gens de leurs maisons ?

C’est le besoin de manger, car nous mangeons au jour le jour. Il faut investir dans le secteur agroalimentaire. Le ministre de l’Agriculture avec différents partenaires a mis en place un plan de relance du secteur agricole lié à la pandémie du Covid-19. C’est un plan pertinent, qui associe les producteurs à tous les niveaux. Il y aura la création d’emplois, la production sur le plan national aussi bien agricole, végétale et animale.

En dehors des importations, comment envisager un plan d’urgence pour une agriculture gabonaise à la hauteur des enjeux, notamment en termes de renforcement de l’autonomie de la population et du système alimentaire local ?

L’écosystème existe, il faut seulement que le ministre de l’Agriculture soit assez courageux pour mettre de l’argent, là où il faut. Assez courageux, parce qu’il y a des lobbies nationaux et étrangers qui empêchent le décollage de l’agriculture locale. Ces lobbies étrangers se nourrissent de la subvention que l’Etat donne, mais également se nourrissent des importations. Il faut que cela cesse. On ne va pas appauvrir le Gabon pour nourrir les populations de l’étranger. Il y a des petits éleveurs de poules pondeuses, de chairs qui existent, des petits éleveurs de porcs qui existent etc.., il est temps de renforcer les capacités de production de ces éleveurs-là, des maraîcher-culteurs, des coopératives parce qu’il y a un réseau national qui existe.

Pourquoi on veut étouffer les producteurs locaux ?

Quand on parle de sécurité alimentaire entre : manger du surgelé dont on ignore la provenance, la durée en mer et manger un kilo d’aubergine, une botte d’oseille mélangée à la sardine, qu’est-ce qui est plus nourrissant ? L’enjeu est là, doit-on continuer à manger du surgelé qui nous rend malade et nous appauvrit ou produire dans notre pays ? Aucune armée au monde, aucun service de gardiennage, aucune arme ne peut freiner une émeute de la faim. En deux semaines du confinement général du grand Libreville, la province de l’Estuaire bougeait déjà, parce que sa population avait faim. Vous demandez au ministre d’être assez courageux pour mettre en place le plan d’urgence de relance du secteur agricole.

Est-ce à dire que tous les 39 ministres de l’Agriculture que le Gabon a connus jusqu’à aujourd’hui ne l’ont pas été ? Que dire des programmes agricoles évalués à des centaines de milliards que le pays a financés ?

La reconduction du ministre Biendi Maganga Moussavou dans le secteur agricole, est pour moi une confirmation de la reconnaissance de son travail par le chef de l’Etat, c’est déjà un point. L’ancien Premier ministre Julien Nkoghé Bekale a été ministre de l’Agriculture, il a géré en tant que ministre de l’Agriculture, les neuf fermes agricoles soit plus de 9 milliards, aujourd’hui ces fermes n’existent pas ; l’Institut gabonais d’aide au développement (Igad), plus de 25 ans d’intervention, des milliards ont été engloutis par cette structure rien qu’avec le projet Prodiag ; nous avons un autre programme pertinent que le chef de l’Etat a mis en place qui est le programme Graine, plus de 120 milliards de francs engloutis dans ce projet pour zéro résultat en terme de production.

En tant qu’acteur du secteur, qu’attendez-vous de l’État pour un développement raisonné de l’agriculture dans ses différentes dimensions ?

Je pense qu’il est temps de faire le toilettage. Oui la majorité des grands ministres de l’agriculture, des donneurs de leçons comme Mba Abessolo, Faustin Boukoubi, l’économiste Luc Oyoubi, tous anciens ministres de l’Agriculture, qu’ont-ils produit ? Rien. Et ce ne sont que des rares exemples. Les milliards qui ont été engloutis dans ce secteur, n’ont servi qu’au détournement et aujourd’hui. Tous les ministres qui sont passés n’ont pas servi loyalement le pays. Il est important que Biendi Maganga Moussavou avec la dynamique qu’il impulse aujourd’hui, s’entoure des partenaires privés, de la société civile pour mettre en place un plan de développement agricole correct.

Regardez ce que la société civile à travers IDRC Africa a fait en six mois sur le site du village agricole de Bolokouboué appartenant à Igad qui n’a rien pu faire. En nous octroyant, ce site constitué de trois composantes : un système de production maraîchère, arbofruitière et avicole, le ministre de l’Agriculture a expérimenté la capacité de la société civile, à renverser la tendance et à proposer des solutions viables contre la crise alimentaire. Nous recevons ici avec l’appui d’Olam et de la Sotrader, des jeunes Gabonais de niveau sixième à docteur qui font de l’agriculture. Montrez-moi un site mis en place par l’Etat qui occupe au tant de jeunes au quotidien ! c’est la société civile au-delà de tout ce qui est dit sur elle, taxée d’opposant, qui arrive à traduire en acte la vision du chef de l’Etat et à démontrer que la terre ne ment pas. L’agriculture nourrit et offre des emplois.

Propos recueillis par Justin BITEGHE

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